Commençons par une question qu’on ne vous a jamais posée, mais qui pourrit dans les profondeurs de votre inconscient depuis des années: et si tout ce que vous faites chaque jour n’avait aucun sens? Je ne parle pas d’un sens philosophique, je ne parle pas de buts cosmiques ni de réponses spirituelles, je parle du tangible, de votre routine, de votre travail, de ce que vous faites quand vous ouvrez les yeux le matin et que vous vous traînez hors du lit, comme un corps obéissant auquel on a volé l’âme.
Avez-vous déjà ressenti qu’il y a quelque chose en vous qui ne correspond pas au monde qui vous entoure? Cette gêne diffuse, ce bruit de fond qui ne s’arrête jamais, comme si toute votre existence était poussée dans une direction que vous n’avez pas choisie, mais que tout le monde semble accepter sans sourciller.
Et si je vous disais que ce bruit est votre essence essayant de crier, que cette gêne n’est pas un échec de votre système nerveux, mais une alarme existentielle, un avertissement que vous avez ignoré toute votre vie? Réfléchissez-y: depuis votre enfance, on vous a dit que vous deviez étudier pour être quelqu’un, mais personne ne vous a demandé si vous vouliez être cette personne. On vous a parlé de buts, de réussites, de succès, mais toujours sous la condition que vous produisiez, que vous rendiez des résultats. Dès l’école, tout était une préparation pour travailler, comme si le travail était le destin naturel de l’être humain, comme si nous étions nés pour cela. Mais et si ce n’était pas le cas? Et si tout cela était une construction artificielle, un théâtre de production dans lequel chacun joue son rôle sans remettre en question le scénario?
On vous a vendu le travail comme épanouissement personnel, comme le chemin vers la plénitude, mais vous voilà ici, avec l’âme froissée et les jours qui se répètent comme un écho insupportable, sentant que quelque chose ne va pas, sans savoir ce que c’est. Et le plus inquiétant: chaque fois que vous osez vous arrêter, même une seconde, le monde vous punit. Si vous ne produisez pas, vous ne valez rien. Si vous n’avancez pas, vous régressez. Si vous ne faites rien d’utile, vous perdez votre temps. Vous voyez le chantage?
Mais qui a défini ces règles? Qui a décidé que vivre n’avait de valeur que si cela se traduisait en productivité? C’est ici que commence la fissure, cette petite brèche par laquelle la vérité commence à s’infiltrer, parce qu’il existe un soupçon ancien, enterré, ignoré pendant des générations, qui commence à se réveiller. Un soupçon qui murmure que peut-être l’être humain n’a pas été créé pour travailler, que peut-être toute cette machinerie de performance, d’efficacité et d’utilité n’est qu’une illusion moderne, une prison sophistiquée où les barreaux ne sont pas en fer, mais en attentes sociales.
Avez-vous déjà eu l’impression de fuir vous-même en accomplissant ce qu’on attend de vous? Que chaque journée productive est aussi une trahison silencieuse de cette partie de vous qui désire quelque chose de plus sauvage, de plus libre, de plus viscéral. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi l’art, le plaisir, la contemplation sont toujours en bas de la liste, comme si vous ne pouviez y accéder qu’une fois tout ce qui est « important » terminé? Mais que se passe-t-il quand l’important ne finit jamais? Et quand ce futur promis, celui dans lequel vous allez enfin profiter, est toujours repoussé un peu plus loin?
Regardez autour de vous: tout le monde court, tout le monde est occupé, tout le monde est pressé, mais personne ne sait exactement où il va. Le monde moderne ne vous apprend pas à vivre, il vous forme à produire, et ce faisant, vous fait sentir coupable dès que vous avez un moment libre, comme si le silence était une menace, comme si rester immobile était un crime. Vous savez ce que cela signifie? Que vous avez perdu. Que vous avez été programmé pour rejeter votre propre nature, parce que l’humain, le profondément humain, ce n’est pas produire, c’est ressentir. C’est perdre du temps sans culpabilité, regarder le ciel sans attendre de réponses, danser sans musique, rire sans raison, pleurer sans explication.
Mais cette partie de vous, celle qui ne produit pas, qui ne génère pas de bénéfices, qui ne sert à aucun objectif économique, vous l’avez laissée mourir. Vous l’avez noyée dans des horaires, dans des métriques, dans des attentes, et chaque fois que vous sentez qu’il vous manque quelque chose, c’est parce que vous vivez une vie qui n’a pas été faite pour vous, mais contre vous.
Et c’est là que rentre la voix qui l’a dit avant tout le monde, une voix incomprise, marginalisée, mais brutalement lucide: Georges Bataille, un philosophe qui ne voulait pas vous apprendre à être plus productif, ni à atteindre des objectifs, ni à réussir. Il voulait que vous vous débarrassiez de tout cela, que vous osiez regarder dans la direction interdite, que vous acceptiez ce que personne ne veut accepter: que votre vie n’a pas à servir à quoi que ce soit.
Que le vrai sens ne réside ni dans le travail, ni dans l’efficacité, ni dans l’utilité, mais dans le gaspillage, l’excès, l’expérience pure, sans but. Et c’est ici, maintenant, que le sol commence à trembler, parce que ce n’est pas seulement une critique du capitalisme, c’est une déclaration de guerre contre la structure même de l’existence moderne. Que se passe-t-il si votre façon de vivre a été un mensonge bien construit? Que se passe-t-il si ce que vous considérez comme une vie normale est en réalité une version domestiquée de vous-même? Ne fermez pas les yeux, ne changez pas de article, ne passez pas à un autre onglet, car ce que vous êtes sur le point d’entendre ne va pas seulement vous déranger, ça va vous désarmer. Ça va vous faire regarder tout ce que vous faites, tout ce que vous avez fait, et vous demander: pourquoi? Pour qui? Et à quel prix?
Préparez-vous, ce n’est pas juste une réflexion, c’est une rupture, une fracture dans le masque que vous portez. Parlons de travail, oui, mais pas comme on vous l’a appris. Parlons de productivité, mais du fond du gouffre. Entrons dans la partie la plus sombre de l’âme humaine, où le temps n’est plus mesuré par des tâches accomplies, mais par des vies gaspillées. Et quand vous sortirez d’ici, si vous osez rester, vous ne regarderez plus vos journées de la même manière, car peut-être, juste peut-être, vous découvrirez qu’en tout ce temps vous n’avez pas vécu, vous ne faisiez que fonctionner.
Et maintenant que vous le savez, que ferez-vous avec cela? La plupart ne le savent pas, mais il y a une partie de vous qui n’a jamais été touchée par le travail, jamais disciplinée, ni éduquée, ni corrigée. Une partie brute, primitive, antinaturelle pour cette société, mais profondément humaine. Elle n’a pas d’horaires, elle n’a pas de buts, elle ne se soumet pas aux calendriers. C’est cette partie qui se réveille quand vous regardez un coucher de soleil sans regarder l’heure, quand vous riez sans savoir pourquoi, quand vous ressentez de l’euphorie sans avoir accompli quoi que ce soit.
Cette partie que beaucoup finissent par oublier complètement est celle que Georges Bataille a essayé de sauver des décombres du système.
Savez-vous ce qui est le plus inquiétant? C’est que cette partie n’est pas morte, elle est juste enfermée, et chaque jour où vous continuez à obéir au mandat d’être utile, vous l’enfermez un peu plus. Elle ne disparaît pas, elle devient juste plus bruyante, plus désespérée, et vous le ressentez dans l’anxiété dont vous ne savez pas d’où elle vient, dans cette tristesse sans raison apparente, dans ce sentiment d’être vivant, mais pas tout à fait.
Bataille parlait du gaspillage comme forme de résistance, pas du gaspillage matériel, ni de la dépense superficielle. Il parlait d’un gaspillage existentiel, un acte de rébellion contre la logique productive: faire quelque chose juste pour le faire, pas parce que cela mène à un objectif, ni parce que cela a un retour, mais parce que c’est intensément humain.
Mais voici le problème: la société moderne ne sait pas quoi faire avec ce qui ne sert pas. Et si vous ne servez pas, si vous ne produisez pas, si vous n’êtes pas en mouvement constant, vous devenez un fardeau. Et c’est là que commence la véritable manipulation, car il ne suffit pas que vous travailliez, ils doivent vous convaincre que profiter est dangereux, que la contemplation est de la paresse, que si vous ne faites rien de rentable, vous échouez. Ils répètent tellement cela qu’il arrive un moment où vous ne pouvez même plus profiter du loisir sans vous sentir coupable. Vous avez été conditionné à craindre le repos.
Mais allons plus loin, car cette logique n’infecte pas seulement vos actions, elle infecte votre identité. Combien de fois vous êtes-vous défini par votre travail? « Je suis designer, je suis avocat, je suis médecin ». Et si demain vous perdez cela, qui êtes-vous? Rien. Parce qu’on vous a appris que vous êtes ce que vous faites, pas ce que vous ressentez, ce que vous pensez, ce que vous imaginez.
Et c’est dévastateur, parce que vous devenez une identité louée. Votre valeur dépend du système qui vous exploite. Tant que vous êtes productif, vous existez. Quand vous arrêtez de l’être, ils vous éteignent comme une vieille machine, comme un fichier qui ne sert plus.
Et vous savez ce qui est le plus brutal? C’est que cette même logique se infiltre dans vos relations. Vous commencez à voir les autres comme des ressources, des contacts, des réseaux. Combien de personnes connaissez-vous qui entretiennent des liens uniquement par intérêt professionnel? Combien de fois avez-vous senti que quelqu’un ne s’approchait de vous que pour obtenir quelque chose de vous? Tout devient échange, et quand l’échange s’épuise, le lien se rompt. Parce que nous avons perdu la capacité de nous relier sans rien attendre en retour. Mais la vraie question n’est pas combien vous produisez, mais combien vous vivez.